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La propagation du discours sectaire et de haine au Liban: un bilan inquiétant 

Par Dr. Fatima Abu Salem1 et Dr. Nabil el Khoury2

Bien que le Liban soit souvent loué pour son modèle de cohabitation intercommunautaire, de tolérance,  il apparaît cependant que ce modèle est loin d’être parfait. C’est ce que révèle un nouveau rapport sur la propagation du discours sectaire et de haine dans l’espace public ainsi que sur les réseaux sociaux numériques au cours de l’année 2023, préparé et publié en janvier 2024 par le “Rassemblement laïque”, un coopératif regroupant différentes associations de société civile libanaise et des activistes indépendants ayant comme objectif commun la construction d’un nouveau système politique libanais laïque et vraisemblablement démocratique.

Ce rapport (en arabe) d’une soixante-dizaine de pages est préparé et conçu en utilisant l’intelligence artificielle pour examiner et analyser un corpus composé de publications et de commentaires sur les réseaux sociaux numériques. Il cartographie une série d’événements déclencheurs et de discours publics sur des questions controversées au Liban, tout en identidiant les réactions offensives, incitatives et accusatrices qui ont suivi sur les réseaux sociaux numériques.

Il s’agit d’un échantillon des publications sur les réseaux sociaux et les commentaires associés sur Facebook, X (Twitter) et Youtube suivant les principaux événements au Liban affectant le discours sur la politique, la sécurité, les questions du genre, la communauté LGBT, les débats religieux et les scandales de corruption dans lesquelles sont impliqués des politiciens appartenant à telle ou telle confession. L’observation et l’analyse concernent des publications publiques faites par des politiciens ainsi que des commentaires faits par les followers et les internautes autour de ces publications.

Il faut souligner que le discours de haine désigne le langage utilisé pour exprimer de la haine envers une personne ou un groupe ciblé. Ce rapport conçoit le discours de haine comme une forme multidimensionnelle de discours qui englobe plusieurs aspects, notamment l’offensivité, l’accusation ou l’incitation. Un discours offensif est celui qui inclut des commentaires blessants et obscènes adressés par une personne à une autre. Un discours accusatoire est celui qui inclut des remarques condamnatoires, telles que des accusations de complicité dans un crime ou de trahison. Quant à l’incitation, elle est associée à un discours qui menace ou promeut la violence sous toutes ses formes contre une personne ou un groupe ciblé.

Il serait utile de noter également que le discours de haine est global, dirigé contre l’autre quoiqu’il appartient à une telle ethnie ou à une telle religion ou à telle ou telle communautés marginalisées (telles que les femmes, les LGBT et les réfugiés). Ce discours de haine peut avoir une dimension de haine sectaire comme l’islamophobie ou le sentiment anti-chrétien. Mais le discours sectaire tend aussi à surgir autour de controverses intrinsèques aux débats religieux et aux clivages politiques interlibanais.

La propagation du discours de haine et du discours sectaire n’est pas insignifiante dans un monde de plus en plus interconnecté et marqué par l’incommunication voire l’accommunication. Il est évidemment nécessaire de comprendre ce phénomène, ses origines, ses causes afin de le juguler et le stopper d’autant plus que la diffusion de tels discours sur internet peut avoir de graves conséquences dans la société et en politique.

Ce type de discours est souvent utilisé par des individus influents auprès de leurs communautés ainsi que par des groupes extrémistes pour obtenir du soutien. Le degré de résonance de ces discours auprès de la population peut créer des problèmes politiques et sociaux importants. Et lorsque ces discours sont banalisés au fil du temps, les conflits violents peuvent devenir plus fréquents et plus cruels; ce qui représente une opportunité pour les groupes extrémistes car c’est dans de telles circonstances qu’ils peuvent recruter et maintenir davantage des partisans et des adeptes. Dans cette perspective et contrairement aux approches de surveillance traditionnelles et manuelles, les techniques d’intelligence artificielle permettent d’augmenter la portée et la profondeur de la détection des discours, objets d’étude, sur les plateformes de médias sociaux de manière opportune, ce qui permet de proposer les moyens adéquats pour intervenir et limiter ce phénomène.

Le rapport met en évidence l’existence de trois modèles de discours. Le premier est caractérisé par ce qui est désigné comme “une panique morale” au cours de laquelle l’élite dirigeante au Liban propage un discours “incitatif” contre les communautés marginalisées telles que les réfugiés, les communautés LGBTQ et les femmes. En les stigmatisant violemment, ce discours témoigne d’une intolérance envers autrui et façonne un ordre de jour qui détourne l’attention du public des problèmes de corruption au Liban, tout en minimisant la gravité des actes d’homicides assez fréquents et liés à la question du genre.

Le deuxième concerne “le traumatisme collectif” libanais inhérent à l’héritage dramatique de la guerre civile qui a dévasté le pays du Cèdre entre 1975 et 1990, faisant plus de 150 milles morts. Faute d’une véritable réconciliation nationale, indispensable à toute reconstruction d’une paix solide dans la période post-guerre civile, les jeunes générations libanaises contribuent à la propagation d’un discours sectaire, en reproduisant le langage agressif et stigmatisant de l’autre (qu’il soit musulman pour les uns ou chrétien pour les autres) qui avait prévalu pendant cette guerre.

Le troisième modèle est révélateur d’“une conscience insensible” à tout ce qui peut être inscrit dans la haine, la discrimination, la marginalisation voire la diabolisation de l’autre. Ce constat pessimiste autorise à s’interroger sur les effets des propagandes politiques des différents acteurs dominants au Liban et sur la manipulation de l’opinion publique libanaise par ces acteurs; un sujet qui nécessite une recherche approfondie.

Les résultats quantitatifs présentés dans ce rapport mettent en lumière à la fois l’ampleur de l’engagement en ligne et la fréquence des discours de haine au Liban, que ce soit à travers le nombre de publications sur un sujet donné ou la visibilité mesurée par le nombre de commentaires du public en ligne.

Ils permettent de constater aussi l’utilité de la technologie et des techniques d’intelligence artificielle dans la lutte contre ce type de discours et surtout contre la  manipulation et la propagande qui “servent le pire”, c’est-à-dire qui diffusent des idées haineuses, fanatiques. Si ce rapport présente un avantage en termes de communication politique, c’est en montrant que l’intelligence artificielle peut s’avérer être un outil utile pour les organisations de la société civile en lutte pour favoriser la cohabitation politique pacifique et la compréhension inter-communautaire au Liban et pour entretenir ainsi le modèle libanais et le rendre vraiment exemplaire. Est-ce une illusion ? Une bataille sans fin ?

  1. Professeure associée en Informatique à l’Université américaine de Beyrouth (AUB). []
  2. Assistant professeur à l’Université libanaise, et aux universités: La Sagesse et Antonine. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
hermes (14 mai 2024). La propagation du discours sectaire et de haine au Liban: un bilan inquiétant . Revue Hermès - Cognition - Communication - Politique. Consulté le 20 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/11o33


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