#2 Renaud Monfourny, photographe
Portrait de Morrissey.
Crédit : Renaud Monfourny
Propos recueillis par Nicolas Peyre1
Renaud Monfourny photographe emblématique du magazine Les Inrockuptibles est internationalement reconnu notamment pour ses portraits. Il expose dans le monde entier et, à Paris, la Maison Européenne de la Photographie (MEP) lui a consacré une exposition rétrospective. Il publie également chaque jour un portrait sur son blog des Inrockuptibles : http://blogs.lesinrocks.com/photos/.
Quel est votre rapport aux icônes, aux stars comme Patti Smith, Morrissey, Bjork, The Velvet Underground ou encore William Burroughs et Clint Eastwood que vous photographiez ?
Mes icônes elles sont dans tous les champs culturels auxquels j’ai accès donc principalement dans la musique, la littérature, le cinéma et les arts plastiques. Mon rapport a un petit peu évolué au fil du temps puisque j’ai commencé jeune et j’étais très impressionné de rencontrer des gens célèbres. Le meilleur exemple, ce serait probablement Marguerite Duras. J’avais décroché un rendez-vous avec elle pour une interview et des photos. Je l’avais bien préparé mais je me sentais quand même un peu inquiet. Et puis, comme toujours on gagne en confiance en soi, en professionnalisme, en tout cas en habitude. Ensuite, comme il y a toujours des contraintes fixées par les intermédiaires entre les artistes et moi. Par exemple, la première fois où j’ai rencontré Clint Eastwood il n’était pas question de photos. Le journal avait réussi à avoir vingt minutes d’entretien mais j’avais insisté auprès du journaliste pour être là. J’étais discrètement sur le canapé de la chambre d’hôtel où il faisait l’interview. À la fin, je vais le voir et lui demande de signer un livre pour ma mère et après je lui dis « vous savez, je suis photographe, on n’a pas l’autorisation mais j’aimerais tellement faire un portrait ». Là, il me regarde avec un grand sourire et me dit « Ok pour trois ! ». Et à la fin, j’en ai peut-être fait cinq ou sept.

Portrait de Renaud Monfourny pour Vogue.
Crédit : Vogue
J’ai donc vu qu’il y avait des rapports différents selon que l’on soit face à la personne ou que l’on passe par des intermédiaires qui mettent de la pression d’un côté et de l’autre. Je dirais que je gère naturellement le stress en fonction des conditions justement. Vous parliez de Morrissey, lui c’est quelqu’un qui accordait une très grande importance à l’image et à l’image qui voulait donner de lui. Et donc les deux fois où j’ai eu des supers séances photos avec lui, c’est lui qui menait la danse dans le bon sens du terme et il était tout à fait ouvert et prêt à donner du temps.
Que souhaitez-vous communiquer avec vos portraits et quelle est votre « méthode » si on peut employer ce terme ?
Je recherche dans le portrait une certaine solennité, le mot est peut-être un peu fort mais en tout cas je suis contre ce qui était très à la mode dans les années 1990 où il fallait faire une photo dynamique, une photo inhabituelle. En fait, ils oubliaient l’essentiel : on va photographier une personne qui est donc de chair et de sang et aussi une âme, un esprit. Mon envie a toujours été de photographier cette personne, cet artiste et non de faire une photo « jolie » ou dynamique en la mettant dans un tapis ou je ne sais qu’elle autre idée. Il y a une forme de rigueur dans ce que je fais. Je ne fais pas de photo en studio mais dans des conditions qu’on m’impose ou que je choisis. Je n’utilise pas non plus de lumière additionnelle donc je repère les éclairages, je fais tout un travail préalable et ensuite je recherche une communication pour lui montrer que je m’intéresse à elle en tant que personne, en tant qu’artiste. La méthode c’est ça, c’est un contact humain et je n’ai pas une idée préconçue de ce que je veux faire mais j’ai des préconçus. Ce qui m’intéresse, c’est la vie, le visage de l’artiste, ce qui peut être exprimé.
Vous avez très largement participé à créer l’image et la notoriété du magazine Les Inrockuptibles dans les années 1990 avec vos portraits « pleine page » en noir et blanc et des couvertures du magazine lorsque celui-ci était mensuel. Les liens entre numérique et photographie sont désormais une évidence du point de vue technique mais que dit, pour vous, le numérique sur et pour la photographie ?
Au début du numérique ce qui me chiffonnait c’était qu’il n’avait pas du tout de carnation dans le grain photographique puisque ce n’est pas du grain, ce sont des pixels. Ce qui me gênait c’était ce rapport mécanique à la matière. Mais finalement il n’y a pas le choix dans la presse puisque aujourd’hui quand tu fais une photo, on la veut quasiment tout de suite. On n’a plus de temps de latence, de traitement des films, de tirage de photos, de scan etc. Je continue cependant à faire encore du noir et blanc argentique en parallèle pour des expositions.
Je fais des photos, je ne fais pas des images.
Le numérique a évolué avec toutes ses possibilités de traitement de l’image. Je n’ai pas voulu les apprendre de manière scolaire si je puis dire car je me suis assez vite aperçu que tout le monde apprenait la même chose et que tout le monde faisait pareil. En définitive, tu appliques des techniques… Je m’en sers de manière très empirique et quand la photo me plaît je l’enregistre. Ce ne sera donc jamais exactement la même chose mais il y a une ambiance générale dans mon travail. Quand je fais un portrait je n’applique pas une recette technique ou mathématique, c’est quelque chose qui est de l’ordre du feeling, de la rencontre, des éléments, de la lumière. Enfin, le numérique, il me dit aussi quelque chose de presque insupportable de la multiplication à outrance des images. J’essaie de subir le moins possible d’images, je ne scrolle pas sur un téléphone comme tout le monde dans le métro par exemple…On a des images partout, j’essaie de me préserver de ça aussi car pour la production et la diffusion, le numérique c’est un puissant puit sans fond. Les téléphones de bonne qualité ont des appareils photos qui sont d’une performance incroyable. Ils corrigent directement toutes les ombres sous les yeux, les autres lumières etc. Il y a un espèce de truc comme ça magique qui se fait tout de suite et c’est très flatteur évidemment sur le coup mais qui nivelle complètement la production des images. J’aime bien faire la différence : je fais des photos, je ne fais pas des images.
- Enseignant chercheur, Toulouse Capitole [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
hermes (13 décembre 2023). #2 Renaud Monfourny, photographe. Revue Hermès - Cognition - Communication - Politique. Consulté le 11 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pika