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30 ans d’indépendance et désir du socialisme ?

Photographie du bâtiment du Conseil National slovaque à Bratislava.

Conseil national, Bratislava, Slovaquie.

par Radovan Gura1

La présidente de la république slovaque, Zuzana Čaputová, dans son discours après la nomination du nouveau gouvernement issu d’élections législatives anticipées, a rappelé son attachement au respect des résultats des élections. Elle s’adresse au nouveau gouvernement : « aujourd’hui, vous assumez non seulement le pouvoir, mais aussi la responsabilité de la République ».

La Slovaquie dispose donc d’un nouveau gouvernement, dirigé par Robert Fico pour la quatrième fois. Chef du gouvernement de 2006 à 2010, puis de 2012 à 2016, il a exercé un troisième mandat entre 2016 et 2018, puis a dû démissionner de son poste de Premier ministre suite aux protestations consécutives au meurtre du journaliste Ján Kuciak et de sa fiancée. Le dernier article du journaliste, publié après son assassinat, impliquait des hommes d’affaires italiens de l’est de la Slovaquie qui avaient été en contact avec la mafia N’drangheta en même temps qu’avec deux personnes du cabinet du Premier ministre. Le quatrième gouvernement de Fico a débuté le 25 octobre 2023. Beaucoup de ses proches collaborateurs, accusés de corruption et de mauvaises pratiques, sont de retour à des postes gouvernementaux ou de responsabilité publique.

Pourquoi est-ce si triste ? En tant que professeur d’université, je pense que nous avons échoué. Nous n’avons probablement pas suffisamment discuté, expliqué, contesté. Ou bien personne ne voulait nous écouter ?

Stagnation à long terme du secteur de l’éducation, sous-estimation du travail scientifique, réduction du budget des universités, cas de plagiat et d’achats de diplômes. Tout cela est vrai. Beaucoup d’entre nous travaillent dans plusieurs universités publiques et privées pour augmenter les revenus (les professeurs des universités ont un salaire brut compris entre 1 150 € et 2 055 €). Pour autant, en cherchant à multiplier les interventions, nous gaspillons notre énergie sur des problèmes secondaires et passons à côté de l’essentiel : l’éducation. Et pour remplir les objectifs qui nous sont imposés, nous devons aussi chercher à publier dans des revues indexées dans des bases de données comme WOS et Scopus, puisque ce sont les seules reconnues par notre administration.

Les enseignants des écoles primaires et secondaires sont débordés par l’administration, en conséquence, le développement des compétences et des aptitudes des élèves n’est pas (plus ?) la priorité. L’esprit critique, le doute ne sont pas systématiquement cultivés chez les futurs électeurs (j’adresse toutes mes excuses à ceux et celles qui continuent néanmoins à les cultiver).

Bien entendu, le contexte international a également une influence fondamentale sur la situation de la société slovaque. La guerre en Ukraine voisine a déstabilisé les citoyens et la société, même avec le fort soutien de la rhétorique nationaliste et populiste de certains partis politiques. La nostalgie du socialisme (quand l’État s’occupait de tout) et la coopération avec le grand frère russe ne se sont pas complètement reléguées aux oubliettes dans le cœur de tous les Slovaques. Beaucoup n’en ont même pas fait l’expérience, mais « mon père a dit que c’était bien alors ». À cela s’ajoutent la dépendance énergétique et en matières premières vis-à-vis de la Russie, la vague et la spécificité de la migration actuelle d’Ukrainiens, les diktats de la « méchante » Bruxelles qui oblige à appliquer des normes et une législation européenne, et l’OTAN dirigée par les Américains. Tout cela donne un bon cocktail électoral. La société est polarisée et déstabilisée.

Dans toutes les régions de Slovaquie, à l’exception de la capitale, le parti Smer-SD (social-démocrate) dirigé par R. Fico a remporté les élections législatives du 29 septembre 2023, avec un total de 23 % des voix au national. Le parti « Slovaquie Progressiste », dirigé par le vice-président du Parlement européen Šimeček, a terminé deuxième avec 18 % des voix. Le troisième parti est le Hlas avec 15 % des voix (composé de transfuges du parti Smer-SD qui n’étaient pas satisfaits de la politique de R. Fico dans son 3e gouvernement). Le gouvernement actuel s’est formé à partir d’une coalition des partis Smer-SD, Hlas et SNS (nationalistes). La droite, les libéraux et les démocrates-chrétiens restent dans l’opposition. Rien d’inhabituel, tant qu’il n’y a pas de remise en question de notre orientation en matière de politique étrangère, notamment de notre appartenance à l’UE et à l’OTAN.

Du point de vue des relations internationales, la Slovaquie est un petit pays caché dans les Carpates (superficie de 49 035 km² et 5,5 millions d’habitants). Notre potentiel énergétique est faible (dépendant en économie et en matières premières). Sur la carte du monde, nous pouvons être considérés comme une usine automobile (en 2022, 184 voitures produites pour 1 000 habitants !). Notre potentiel de pouvoir ne peut résider que dans une stratégie de soft power, basée sur l’éducation, la science, la culture et le tourisme. Mais ces secteurs n’ont pas beaucoup intéressé nos gouvernements successifs.

Une sortie des structures euro-atlantiques aiderait-elle réellement la Slovaquie ? On parlerait alors d’un arrêt des réparations routières ou de la modernisation des trains ou de la fin de la libre circulation vers la Pologne. Terminé le shopping de l’autre côté de la frontière, tout ça pour stopper toute arrivée de migrants qui nous menacent… alors que ceux qui arrivent en Slovaquie ne veulent en aucun cas y rester, il ne s’agit que d’un transit vers l’Allemagne. Nous ne serions donc plus obligés de respecter les structures européennes, mais n’aurions plus les ressources financières du plan de relance. Quel autre choix alors que de revenir sous l’aile du grand frère russe ? Nous n’aurions d’ailleurs plus d’Ukrainiens, car ils iraient plus à l’ouest. Nous devrions aussi fermer de nombreuses entreprises manufacturières parce que nous manquerions de main-d’œuvre, et fermer de nombreux programmes d’études dans les universités parce que nous n’aurions plus d’étudiants, fermer de nombreux hôpitaux parce que nous n’aurions plus de médecins et même fermer les restaurants parce que nous n’aurions plus de personnel, des secteurs qui emploient des citoyens ukrainiens, et pas seulement depuis la guerre.

Alors, après ces évolutions, le peuple slovaque comprendrait-il ?

  1. Bureau Hermès Slovaquie []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
hermes (11 décembre 2023). 30 ans d’indépendance et désir du socialisme ? Revue Hermès - Cognition - Communication - Politique. Consulté le 25 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pik9


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1 réponse

  1. 02/01/2024

    […] 30 ans d’indépendance et désir du socialisme ?, par Radovan Gura, sur le Carnet Hermès ; […]

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