Devenir un protégé des Muses, tout un art

Affiche de l’exposition “Open Museum Jeu vidéo” au Palais des Beaux Arts de Lille, 2023.
par Daniele Zappalà1
La liste des arts est-elle extensible à l’infini ? Difficile à dire. Mais en tout cas, les tentatives de l’allonger ne manquent pas…
Parmi les prétendants récents les plus sérieux, on cite les jeux vidéo, prédestinés selon certains à devenir le 10e membre du club, en tant que nouvel art emblématique du xxie siècle, comme ce fut le cas pour le cinéma au siècle dernier.
Super Mario Bros sera-t-il un jour considéré comme La Joconde de Léonard de Vinci ? La question ne sonne plus comme une boutade, du moins aux oreilles de ceux qui essaient de valoriser l’originalité des créations développées dans le sillage du sémillant plombier paru au Japon dans les années 1980.
Mais par où passent les stratégies de légitimation et de communication en question ? En réalité, à n’en pas douter, par le même « parcours des honneurs » déjà suivi par les autres arts. La voie royale ? Se trouver une Muse qui veuille bien de vous ! Et si vraiment elles sont déjà toutes prises et que le temps d’attente devient insupportable, il faut alors passer par la petite porte : oui, celle d’un sanctuaire consacré aux Muses… Bref, un musée.
Qu’on le veuille ou non, l’art conserve indiscutablement une aura sacrée. Donc, on ne peut pas échapper au moins au plan B, même quand on est un expert des tuyaux comme le brave Mario.
Dans le cas des jeux vidéo, la pirouette est sans doute en train de se réaliser sous nos yeux depuis déjà quelques années. Depuis 2013, le célèbre MoMA (Musée d’art moderne) de New York offre une section spécifique sur les jeux vidéo. Parmi les premières acquisitions, bien sûr, Super Mario Bros, mais aussi Pac-Man ou encore Tetris.
Quant à la France, fait-elle de la résistance ? Pas complètement. Pour preuve, l’initiative Open Museum Jeu vidéo, au Palais des Beaux-Arts de Lille, du 13 avril au 25 septembre 2023.
En effet, les responsables du musée, bien connu pour ses Rubens et Van Dyck, ont voulu offrir une « carte blanche » à Ankama et Spiders, studios français de jeux vidéo. Sur les trois niveaux du musée, les visiteurs ont été conviés à une plongée dans l’univers créatif du prétendu « 10e art ». Il s’agit également, à n’en pas douter, de dépoussiérer l’institution en vue d’attirer les plus jeunes.
Personne ne doute qu’une telle tentative de légitimation relève aussi d’un défi de communication. C’est pourquoi, sur place, nous avons demandé à l’un des concepteurs de l’exposition, Matthieu Levisse, directeur marketing et communication de Ankama, de nous livrer son point de vue sur la question :
« Aujourd’hui, le marché du jeu vidéo génère plus de chiffre d’affaires que les marchés du film et de la musique cumulés. C’est une vraie industrie, mais basée sur la création artistique. Il y a des jeux qui prennent plus de cinq ou six ans à être développés. Dans cette exposition, nous avons essayé de faire communiquer les arts entre eux, en racontant aussi comment les jeux vidéo exploitent les codes des autres arts et les détournent pour créer un nouvel objet artistique. Aujourd’hui, la définition de l’art est complexe. S’agit-il de l’intention de l’artiste ? Ou de la réaction du public ? L’art est-il commercial ? Tout cela rentre dans le débat public. Si les jeux vidéo ne sont pas de l’art, pourquoi alors les films le seraient-ils ? Nous avons voulu également poser des questions sur la perception de l’art. Quant à nous, cela a été l’occasion d’expliquer pourquoi nous ressentons cela comme de l’art. »
Alors, convaincus ?
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Daniele Zappalà est géographe. Ses recherches portent sur la cognition de la mondialisation et sur les patrimoines alimentaires internationaux. Correspondant en France pour le quotidien italien Avvenire, il a été chroniqueur européen pour France Inter. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
hermes (23 octobre 2023). Devenir un protégé des Muses, tout un art. Revue Hermès - Cognition - Communication - Politique. Consulté le 18 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pik4