Internet : outils de répression et de contestation

The Censure par Rooker

Par Matthieu Bontour¹

Disons-le d’amblée, bloquer internet ainsi que ses multiples usages est une technique de répression commune dans les mouvements de soulèvement populaire à l’encontre d’un régime politique. Le xxi^e siècle a vu les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) concurrencer les moyens historiques de faire circuler les informations. Peu à peu, ces nouvelles technologies ont pu être démocratisées pour ne plus être uniquement l’apanage de catégories socioprofessionnelles élevées. Cette démocratisation a favorisé une plus grande circulation des savoirs et des informations relatives à des crises étatiques majeures. Devenues acteurs et actrices du relai informationnel, les populations font face à une augmentation du contrôle étatique sur leurs utilisations d’internet pour les confondre dans un mutisme favorable à la bonne conduite de la ligne politique nationale.

Ainsi, le déploiement d’Internet et des réseaux sociaux numériques a comme corolaire la publicisation d’événements à l’échelle internationale. Ce qui se déroule dans un pays n’est plus enfermé dans des frontières géographiques, l’information voyage et se déploie.

La République populaire de Chine, la République islamique d’Iran et le Cameroun sont trois régimes politiques différents, certes, mais faisant appel à des techniques similaires quant il s’agit de contrôler la circulation de l’information et, in fine, ses populations. Étant précisé toutefois que l’une des différences importantes entre les trois pays susmentionnés demeure le nombre d’utilisateurs d’internet : si pour le Cameroun en 2020, il s’agissait seulement de 38 % de la population, pour la République populaire de Chine ou la République islamique d’Iran, les chiffres s’élèvent respectivement à 73 % et 78 % de la population en 2021².

La Chine est un exemple idéal de la censure sur les espaces numériques. Blocage de certaines adresses IP, filtrage URL, blocage VPN sont autant de méthodes de censures qui permettent de renforcer la ligne politique de la Chine avec pour objectif d’évacuer toutes formes de contestation. C’est dans ce contexte de répression que de nombreux militants numériques se retrouvent emprisonnés à cause de commentaires politiquement dérangeants sur le pouvoir en place. Internet étant une fenêtre d’opportunités déterminantes pour la dissidence chinoise, cet outil technologique est placé sous le contrôle de la souveraineté chinoise pour renforcer son autorité.

Au-delà du contrôle par la censure de certains sites internet, comme le démontre l’exemple précédent, le phénomène de blocage de la diffusion du réseau internet se multiplie. C’est par cet outil que Paul Biya a tenté d’endiguer une crise politique majeure en 2016, en résulte 94 jours consécutifs de blocage du réseau internet dans le cadre d’une répression numérique dans les régions du Cameroun anglophone³. Phénomène qui s’est également déroulé en République démocratique du Congo en 2019 à la suite des élections présidentielles.

Cependant, et c’est ce que démontre l’actualité iranienne, des techniques de contournement de ces modalités de censure et de blocage d’internet parviennent à éclore. Dans un épisode inédit de l’histoire de la République islamique d’Iran, la contestation du régime s’organise à l’aide des outils et des réseaux sociaux numériques. À la suite du tragique assassinat de Mahsa Amini, Internet s’insurge. Cela s’est traduit par une campagne de hashtags, de threads et de nombreux Tweets, ainsi que par la publication de vidéos et de photographies de femmes qui se coupent les cheveux. Ces symboles sont non seulement repris par des hommes iraniens, mais aussi par des personnalités internationales dans des vidéos de soutien aux mouvements révolutionnaires. La République islamique d’Iran tente de contenir dans une logique identique à celle de Paul Biya ou de Xi Jinping sa population par la censure et le blocage d’internet. Néanmoins, si des techniques de pointe existent pour exercer cette répression numérique, les outils de contournement des censures et des différents blocages existent tout autant.

Concrètement en Iran, les personnes contestatrices transmettent les informations à des populations voisines, souvent membre de la diaspora, pour que ces personnes à leur tour transmettent les informations pour les diffuser massivement. La diaspora demeure une menace importante dans les régimes autoritaires, d’autant plus quand celle-ci est organisée, notamment via des réseaux qui favorisent des rassemblements, des manifestations comme celles qui ont eu lieu à Paris récemment. Cette structuration passe évidemment par les réseaux sociaux numériques et notamment par des figures d’une lutte virtuelle, c’est ainsi que l’actrice Golshifteh Farahani et la journaliste Masih Alinejad comptabilisent plus de 23 millions de followers uniquement sur la plateforme Instagram. Elles y partagent des vidéos ou photographies de protestations internes à l’Iran. Pourtant, exilées et loin géographiquement de leur pays, elles subissent des pressions incessantes de la part des autorités⁴.

Enfin, et parce que l’actualité de la Turquie l’exige, les élections présidentielles, en cours, sont le moyen de mieux comprendre les enjeux susmentionnés. Ainsi, la confiscation de l’espace public virtuel est double. Il s’agit d’une méthode classique, « à l’approche des élections, le gouvernement turc a accéléré ses efforts visant à renforcer la censure ainsi que son contrôle sur les médias sociaux et les sites d’information en ligne indépendants », a déclaré Deborah Brown⁵. Cependant, ce qui est intéressant, c’est de voir la réactivation d’environ 12 000 comptes de réseaux sociaux numériques russophones et hongrois, utilisée en tant que comptes turcs. Précisions en sus que le Twitter turc est enclin à une fabrication de fake news puisque les partis politiques principaux promeuvent leur programme à partir de comptes robots. Par ce jeu, de surinvestissement de l’espace public virtuel et par, ce qui semble être une nouvelle forme d’ingérence, l’espace démocratique réel est tronqué au profit de nouveaux moyens de faire une élection. À noter également, le rôle de la diaspora turque, dont la majorité a voté pour le président sortant conservateur Recep Tayyip Erdogan, en partageant, bien évidemment, leurs positions sur les réseaux sociaux numériques.

Internet et les réseaux sociaux numériques, outils de contestation tout autant que de répression catalysent toutes les tensions vécues. Internet est aussi bien un moyen d’empêcher que de libérer. Son observation nous donne un indicateur nouveau de liberté politique dans un pays donné. Observer l’accès et l’usage d’Internet par sa population, c’est finalement observer l’État et son degré d’ouverture politique.

Voir aussi : « Les médias sociaux : une aubaine pour les nouveaux députés libanais ? », par Roula Zoubian

1. Matthieu Bontour est étudiant en master 2 « Politique comparée Afrique Moyen-Orient » à l’université Paris 1 Panthéon Sorbonne, mémoire en cours : « Délégations, articulations et extensions : Les actions privées dans les politiques culturelles à destination de la jeunesse marocaine », sous la direction d’Assia Boutaleb. [↩]
2. Les pourcentages proviennent des données de La Banque mondiale. https://donnees.banquemondiale.org/indicator/IT.NET.USER.ZS?locations=CM [↩]
3. Les informations proviennent d’« Internet Sans frontières », association française loi 1901. https://internetwithoutborders.org/questions-sur-le-wifi-au-cameroun-et-au-congo/ [↩]
4. Les informations portant sur l’Iran sont issues de mon travail de recherche de première année de master. [↩]
5. HUMAN RIGHTS WATCH, « Turquie : Le contrôle gouvernemental d’Internet menace l’intégrité des élections », 10 mai 2023 : https://www.hrw.org/fr/news/2023/05/10/turquie-le-controle-gouvernemental-dinternet-menace-lintegrite-des-elections [↩]