Les nouvelles routes de la soie : à qui perd gagne ? (2/3)

Les pays membres de la Nouvelle Route de la soie en 2019. Crédit : Wikipedia/Licence CC.
par Olivier Arifon1
L’histoire portée par les Nouvelles routes de la soie repose sur un modèle de non-ingérence, où chacun doit sortir gagnant, pour agir favorablement au développement économique. Ceci concerne y compris les pays les plus modestes ou les plus pauvres. Or, la situation actuelle de beaucoup de pays apparaît comme la conséquence d’un modèle colonial et néolibéral qui impose à tous des sacrifices et de nombreuses conditionnalités.2
Selon la Chine, voici la situation initiale : les restrictions au développement proviennent de la domination des pays occidentaux qui, par divers mécanismes de contrôle, imposent de normes dans les instances internationales à leur seule faveur. À cette première situation, comme dans les récits folkloriques russes, la Chine a choisi depuis 2013 d’intégrer une complication. Par son programme de Nouvelles routes de la soie, sa réaction consiste à proposer un plan de croissance, des liens et des contacts pour rééquilibrer les modèles de développement. Selon son discours, seule cette initiative sera capable de fournir un dénouement favorable à tous. Autrement dit, toujours comme dans les récits folkloriques russes, le cadre doit évoluer vers les standards et normes proposés par la Chine : ce serait l’étape de la résolution.
Un récit fragilisé
Le premier axe du récit chinois passe par la promotion de la culture traditionnelle avec, entre autres, les instituts Confucius, le cinéma, ou encore le pacifique panda, des zoos aux Jeux olympiques d’hiver de 2022.
Le deuxième axe de ce récit est économique. Centré sur l’idée de développement réciproque, il se matérialise par deux projets : les Nouvelles Routes de la soie en tant que telles et qui regroupe seize pays et la Chine.
Or, paradoxalement après le discours fondateur de 2013 articulé autour du « gagnant-gagnant », puis un récent verdissement dans les modalités des projets, ces initiatives ont subi un coup et semblent en suspens depuis 2022. Car en effet, l’image de la Chine s’est significativement dégradée depuis le fol épisode du Covid-19, comme le décrivent plusieurs sondages et études publiés en 2021 et 2022. Les résultats du Sinophone borderlands European public opinion on China in the age of COVID-19 et du Pew Research centre montrent une inversion quasi simultanée des courbes entre perceptions favorables et défavorables de la Chine dans la plupart des pays, du moins occidentaux.
De plus, la guerre en Ukraine, débutée le 24 février 2022, affecte aussi ce récit chinois fragilisé. Si l’aspect soft power et culture l’est beaucoup moins, il faut dire que les Nouvelles Routes de la soie sont confrontées à des contraintes physiques de flux commerciaux, humains et de sécurité particulière notables.
Et surtout à cela, il faudrait ajouter la concurrence activée par d’autres acteurs qui ont compris le poids et les symboles des programmes. L’Union européenne développe le « Global gateway » qui comprend soixante-dix projets au début 2023, surtout pour la connectivité et les infrastructures. Il y a aussi le Trans Caspian International Transport Route (TITR) qui vient d’initier ses propres routes de la soie en mettant celles-ci dans la continuité des échanges entre Chine, Asie centrale et Union européenne3. Si ce type d’action menée par l’UE peut permettre de développer un récit et des arguments forts sur ses valeurs en direction des États d’Asie centrale4, on parviendrait au final à intégrer le récit chinois dominant dans un récit plus global : une occasion de statuer à nouveaux frais sur la poursuite des échanges en temps de guerre et de réorientations des flux économiques et politiques. Les nouvelles routes de la soie : dix ans de programme et un récit fragilisé. De gagnant-gagnant à qui perd gagne ?
- Olivier Arifon enseigne à l’université Catholique de Lille. Ses vies de chercheur, de formateur et de diplomate l’ont conduit à nombreuses occasions en Asie, pour explorer la communication entre la Chine, le Japon, l’Inde et l’Europe. [↩]
- Ce billet est le deuxième d’une série de trois [↩]
- https://www.euractiv.com/section/central-asia/news/kazakhstan-key-middle-corridor-linking-china-to-eu/ consulté le 3 juillet 2022. [↩]
- Entretien avec un diplomate, Bruxelles, juin 2022. [↩]
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
hermes (26 mai 2023). Les nouvelles routes de la soie : à qui perd gagne ? (2/3). Revue Hermès - Cognition - Communication - Politique. Consulté le 21 juin 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pijx