Le meunier et le grand évaluateur
La fontaine des fables d’aujourd’hui #1
Pascal Robert[1]
Un meunier fabriquait une farine excellente.
Le Grand Evaluateur, personnage craint
Passait dans le voisinage à son allure lente.
Il s’arrêta, reniflant, devant le moulin
Entra et demanda à gouter cette succulente
Farine qu’il ne connaissait pas ce matin.
Surpris par la finesse et la délicate odeur
Il décida, tout de go, qu’elle ne valait rien,
Au grand désarroi de l’homme de labeur.
Le Grand Evaluateur reprit alors sa route
Et bientôt alerté s’arrêta sans doute
Chez le voisin, lui aussi meunier de son état.
Dans l’antre sombre lentement il pénétra
Et reconnu aussitôt cette fade farine
Qui était le pain quotidien de ses narines.
Alors, le Grand Evaluateur en bon et zélé
Serviteur des normes du Grand Minotier
Décida que celle-ci, à n’en pas douter
Etait vraiment d’excellente qualité,
Au grand bonheur du bonhomme étonné.
De cette histoire une morale s’ensuivrait :
Alors qu’on la croit volontiers donnant le vrai,
Serait-ce que l’évaluation varie selon les intérêts ?
Elle serait dure et sévère avec l’excellence
Mais à l’ordinaire accorderait sa bienveillance ?
D’une farine moyenne elle favoriserait ainsi la surproduction
Au détriment d’une créativité qui dérange la normalisation ?
Bref, on la suppose volontiers raide comme la trique
Alors qu’elle n’est peut-être, après tout, qu’élastique ?
[1] Professeur des universités à l’Enssib, il s’exprime ici à titre
personnel
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
hermes (9 décembre 2022). Le meunier et le grand évaluateur. Revue Hermès - Cognition - Communication - Politique. Consulté le 11 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pijf