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Quelle perception de la guerre en Ukraine dans les réseaux sociaux du monde arabe?

Marguerita Mouawad, Nabil el Khoury

Avec l’avènement des réseaux sociaux depuis bientôt vingt ans, les opinions publiques ont désormais un véritable poids, y compris en matière de relations internationales. Les médias sociaux sont mobilisés comme de nouveaux observatoires des tendances de la société.

Les discussions sur les réseaux sociaux reflètent avant tout les préoccupations et thématiques mises à l’agenda par les grands médias. Elles constituent un indice pour comprendre les mouvements d’opinion sur le réseau social au moment des crises et des guerres comme la guerre en Ukraine aujourd’hui.

Cette guerre fait l’objet de réactions contradictoires dans le monde et sa condamnation ne fait pas l’unanimité. L’opinion publique internationale est divisée entre une tendance pro-ukrainienne et une autre pro-russe. Cette division s’applique aussi sur l’opinion arabophone.

Pour étudier ces phénomènes, une centaine de tweets a été collectée, provenant de différents comptes arabes. La « tonalité » des messages analysés est identifiée en mobilisant des lexiques de termes considérés comme a priori « positifs » et « négatifs ».

Il n’est pas pertinent d’analyser les messages de façon isolée, sans tenir compte du profil sociopolitique du propriétaire des messages et des échanges discursifs dans lesquels ils s’insèrent et qui leur donnent sens. La représentativité sociologique des internautes détectée permet une analyse plus fine des commentaires sur la guerre en Ukraine. Les individus, qui publient des messages sur Twitter – et, a fortiori, des messages relatifs à l’actualité politique – ne sont pas représentatifs de la population totale : les catégories les plus jeunes, diplômées et urbaines de la population sont en effet surreprésentées sur ces espaces.

L’analyse des commentaires diffusés en arabes sur les réseaux sociaux à propos de la guerre en Ukraine permet de proposer quelques postulats qui expliqueraient les phénomènes pro-ukrainien et pro-russe:

Il s’agit d’abord d’une dynamique pro-ukrainienne guidée par deux motivations distinctes. Il y a d’abord celle qui représente une opinion arabe libérale qui partage les valeurs libérales universelles. Il y a ensuite une motivation anti-russe largement répandue auprès des Syriens ou des Arabes déçus de l’intervention militaire russe en faveur du régime dictatorial en Syrie. Une telle attitude est inscrite dans un esprit revanchard contre la Russie sans aucun rapport avec l’appartenance à une communauté de valeurs pro-occidentale. C’est une opinion négative qui vise l’envahisseur russe. L’opposition au rôle russe transparaît à travers les tweets. Elle met en exergue la résilience dont fait preuve un peuple du flanc Est de l’Europe pour résister à l’empiètement de l’autoritarisme. Les messages défendent la lutte des Ukrainiens contre l’agression russe. Ils défendent l’ordre libéral face à l’autoritarisme. Ces messages qualifient les Ukrainiens de courageux mobilisés, non seulement pour parer l’agression, mais aussi pour se battre pour l’autodétermination libérale. La résistance ukrainienne est non seulement applaudie, mais est surtout perçue comme une vengeance de ceux qui considèrent que la Russie a contribué à l’étouffement de leur “printemps arabe”.

Une deuxième dynamique est pro-russe. Elle est d’un côté le résultat des liens tissés ou entretenus avec la Russie, et de l’autre, elle est intrinsèque à une attitude essentiellement et historiquement anti-occidentale.

La Russie bénéficie de ce que l’on appelle en diplomatie publique, le relationship building. Ce phénomène d’influence concerne des étudiants, des diplômés des universités russes ou soviétiques, des hommes d’affaires et des mariages mixtes entre Arabes et Russes. Parmi cette catégorie de personnes l’on constate sinon un appui politique total et parfois aveugle, du moins une compréhension à l’égard de l’action russe en Ukraine. Sans généralisation, pour certains usagers, le président russe a recours à la fois à la force militaire pour défendre la Russie. Ils reproduisent donc le récit russe selon lequel: la guerre qui se poursuit a pour but de démilitariser et dénazifier l’Ukraine et de protéger les russohpones à l’Est de l’Ukraine, victimes, depuis 2014, de l’intimidation et de génocide exercées par les forces ukrainiennes.

Cette dynamique pro-russe est plutôt anti-occidentale, anti-américaine. Lassés de la domination américaine et occidentale sur les affaires du monde, ou guidés par leur appartenance aux camps de la résistance, pro-iranien, au Moyen-Orient, ces usagers ont tendance à qualifier la Russie comme une puissance capable de contrebalancer l’influence américaine et de mettre un terme à l’hégémonie occidentale.

Sans se voulant pro-russe, une troisième dynamique exprime une opinion arabe rejetant la politique de double standard des Occidentaux qui condamnent l’agression russe et désapprouvent catégoriquement l’occupation des territoires ukrainiens par la Russie, tout en étant sinon complices du moins passifs sur l’occupation israélienne du Golan syrien, et des territoires palestiniens tels que Jérusalem de l’Est et de la Cisjordanie depuis 1967.

Ces trois dynamiques ne résument pas tout le débat qui agite les réseaux sociaux depuis le déclenchement de la guerre russe en Ukraine le 24 février 2022.

Ces trois dynamiques observées révèlent le poids des idées préexistantes auprès du public arabe sur l’attitude à adopter vis-à-vis d’un événement international et celui des divisions enracinées par rapport au jeu de rivalité entre l’Occident et la Russie.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
hermes (6 décembre 2022). Quelle perception de la guerre en Ukraine dans les réseaux sociaux du monde arabe?. Revue Hermès - Cognition - Communication - Politique. Consulté le 18 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pijd


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