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Élections en Suède : un tabou brisé et des conflits en germe

Photographie d'une place pavée dans une petite ville typique suédoise. À gauche se trouve une camionnette aux couleurs du parti des Démocrates de Suède, dont l'emblème est une fleur. Quelques personnes de dos, sur la gauche, discutent ensemble. Certaines d'entre elles portent une veste avec le symbole du parti. Texte en suédos : Démocrates de Suède. Sécurité et tradition.

Des militants du parti d’extrême droite Démocrates de Suède dans la ville de Landskrona, en 2014. Crédit : Sigfrid Lundberg/CC-BY-SA

Par Ugo Ruiz

La Suède sera longtemps restée le seul pays scandinave à ne pas avoir de parti d’extrême droite parmi ceux pouvant participer au pouvoir. Une page s’est tournée lors des élections très serrées du 11 septembre dernier, une page au goût amer pour de nombreux Suédois.

Après huit années au pouvoir, le bloc de gauche, conduit par la première ministre sociale-démocrate Magdalena Andersson, laissera la place à un bloc de droite qui rassemble les Modérés, les Chrétiens-démocrates, les Libéraux et les Démocrates de Suède, ce dernier étant un parti d’extrême droite. Cette coalition l’a remporté avec 49,8 % des suffrages devant le bloc de gauche qui a obtenu 48,8 % (qui comprenait les Sociaux-démocrates, le Parti de gauche, le Parti des Verts et le Parti du Centre).

Les modalités de la participation de l’extrême droite au pouvoir ne sont pas encore connues. Les Libéraux ne souhaitent pas que les Démocrates de Suède accèdent au portefeuille d’un ministère ; mais ces derniers, qui sont devenus le deuxième parti politique de Suède (20,5 % des votes), derrière les Sociaux-démocrates (30,3 %) et devant les Modérés (19.1 %), souhaitent évidement peser plus dans la direction politique du pays.

Quoiqu’il arrive, ces élections resteront historiques, car un tabou a été brisé par l’accord mis en place entre les Démocrates de Suède, les Modérés, les Chrétiens-démocrates et les Libéraux, accord qui semblait impossible il y a encore quelques années de cela. Celui-ci pourrait installer le parti d’extrême droite pour de longues années dans le jeu politique suédois et le sortir ainsi du rôle d’épouvantail qu’il a joué jusqu’à récemment.

Si en 1991 la droite avait dû, pour gouverner, s’appuyer sur Nouvelle démocratie, un parti populiste de droite, la situation était alors très différente de celle que connait la Suède aujourd’hui. D’une part, Nouvelle démocratie n’avait obtenu que 6,7 % des voix ; d’autre part le parti a eu une durée de vie très courte, disparaissant pratiquement lors des élections suivantes en 1994. Nouvelle démocratie n’a donc pas pu créer un clivage dans la société, contrairement aux Démocrates de Suède, parti fondé en 1988 par des néonazis. Celui-ci a longtemps porté cet héritage comme un boulet, mais a réussi à l’estomper petit à petit en se séparant de ses éléments les plus extrémistes : une dédiabolisation suffisante pour devenir fréquentable puis prétendre maintenant jouer un rôle de premier plan dans la vie politique suédoise.

La normalisation des Démocrates de Suède et sa professionnalisation ont été menées en grande partie, et de manière plutôt efficace, par Jimmie Åkesson, qui dirige le parti depuis 2005. La progression constante de ce parti peut s’expliquer par des phénomènes bien connus en Suède, à savoir l’immigration massive des années 2015/2016 due à la guerre en Syrie, et la violence des gangs qui n’a cessé d’augmenter ces dernières années.

C’est en faisant plus précisément le lien entre ces deux phénomènes que les Démocrates de Suède ont pu convaincre de plus en plus d’électeurs. Leur voix a d’autant plus porté que la peur d’être perçu comme raciste du simple fait d’évoquer la question migratoire était forte dans la société. Les Démocrates de Suède ont parfaitement su occuper cet espace délaissé par les autres groupes politiques pour imposer rapidement leurs idées.

Dernièrement, il y a eu une prise de conscience de l’importance de s’emparer de ces thèmes sensibles dans la classe politique. La Première ministre sortante, Magdalena Andersson, a ainsi déclaré que la Suède n’avait pas su intégrer les très nombreux migrants qu’elle a accueillis au cours des deux dernières décennies, et que cela avait favorisé la constitution de « sociétés parallèles » et le développement de la violence des gangs. C’était reconnaître les erreurs commises par le Parti social-démocrate et faire un pas dans la bonne direction aux yeux de l’opinion publique ; mais le mal était fait, et surtout les Démocrates de Suède étaient devenus la référence incontournable sur ces thématiques.

La dernière campagne a principalement tourné autour de la question migratoire, de la lutte contre les gangs, des moyens donnés à la police, du durcissement des peines de prison, avec le développement d’une rhétorique stigmatisante envers les étrangers (non européens) et les jeunes d’origines étrangères. Durant cette campagne, il a aussi beaucoup été question de lutte contre l’inflation et contre l’augmentation des prix de l’énergie, autant de thèmes qui ont servi de faire-valoir aux Démocrates de Suède qui ont pu déployer leur rhétorique populiste. En outre, et ce qui a été assez notable durant cette campagne aux thématiques droitières, la question environnementale, qui est pourtant un marqueur politique plus fort en Suède qu’en France, a été reléguée au second plan.

Si l’ascension au pouvoir des Démocrates de Suède est déjà en soi un succès politique, l’histoire est cependant loin d’être écrite et le plus dur reste sans doute à venir pour ce jeune parti d’extrême droite. Les prochains mois nous diront si le nouveau gouvernement de droite, qui est, précisons-le, minoritaire, résistera aux dissensions. Et elles sont potentiellement nombreuses.

Le bloc de droite dirigé par le modéré Ulf Kristersson risque en effet de se heurter à des désaccords de fond qui viennent de l’identité même des partis qu’il regroupe. Si au niveau des valeurs les Démocrates de Suède, qui réclament plus d’autorité, plus d’ordre et une forme de patriotisme social et commercial, se situent clairement dans le camp d’une droite conservatrice, le référentiel politique de ce parti intègre aussi un certain côté égalitariste.

Plus précisément, le modèle de société promu par le parti trouve ses racines dans la Suède des années 1950-1970, période considérée comme l’âge d’or de la social-démocratie et qui a construit dans l’imaginaire collectif suédois l’idée que la poursuite du bien-être collectif revient à un État protecteur et bienveillant et passe par la construction d’une société égalitaire. Cette référence historique sociale-démocrate constitue une spécificité des Démocrates de Suède qu’on ne retrouve pas de la même manière dans les autres partis scandinaves d’extrême droite.

L’idéologie égalitariste des Démocrates de Suède se retrouve par exemple dans leur projet d’augmentation des petites retraites, de baisse du coût des soins dentaires ou encore de baisse du prix de l’essence ; ces projets de réformes se heurtent à la volonté des autres partis de droite, et notamment des Modérés et des Libéraux, de faire de la baisse des impôts une priorité. Par ailleurs, le souci de construire (ou plutôt de retrouver) une société plus égalitaire et juste, pour les Démocrates de Suède, concerne d’abord les Suédois sans ascendance étrangère et passe par une préférence nationale assumée. Cette générosité orientée s’oppose à l’idée d’égalité et d’ouverture des Sociaux-démocrates, pour qui la société se doit d’être inclusive et bienveillante avec tout le monde quelle que soit son origine.

La question identitaire reste donc un point sensible entre les Sociaux-démocrates et les Démocrates de Suède, mais aussi entre ces derniers et une partie des Modérés et surtout des Libéraux qui adhérent à l’idée de société inclusive. Par ailleurs, c’est le rôle central accordé à l’État par les Démocrates de Suède qui risque de se heurter à l’idéologie libérale qui prône l’individualisme et un retrait de l’État dans la gestion de la société.

Ces différences idéologiques portent en elles le germe de conflits futurs qui pourraient amener le bloc de droite à perdre la majorité, d’autant que les Libéraux, qui étaient déjà plutôt réticents à l’idée de collaborer avec l’extrême droite, ont été dans l’histoire suédoise une force politique qui n’a pas hésité à renverser les gouvernements qu’elle a soutenus (de gauche comme de droite).

Le 11 septembre dernier, la Suède est donc aussi entrée de plain-pied dans une ère d’instabilité, sur fond des crises qui traversent l’Europe et le monde depuis deux décennies et dont on ne voit, malheureusement, pas bien encore quand elles finiront.

 

 

Ugo Ruiz est maitre de conférences à l’université de Göteborg au Département de langues et de littératures. Ses recherches portent sur les discours propagandistes en politique et les pratiques communicationnelles des ONG.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
hermes (21 septembre 2022). Élections en Suède : un tabou brisé et des conflits en germe. Revue Hermès - Cognition - Communication - Politique. Consulté le 18 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/piiv


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