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Le « droit à la communication » au Brésil

Louis Edoa1

La rupture de la structure de la société minière brésilienne, le 25 janvier 2019, a bouleversé les plans, projets et le cours de la vie de centaines de milliers de familles de la ville de Brumadinho et des villes de la région métropolitaine de Belo Horizonte, capital de l’État de Minas Gerais. 272 personnes ont perdu leur vie, sans compter les pertes matérielles, naturelles et sanitaires (comme psychologiques). De nombreuses victimes ou leurs proches vivent aujourd’hui sous contrôle médicamenteux et c’est ainsi un chemin qui se répandra tout au long de leur vie.

À Brumadinho3, il y a eu plusieurs types de morts : physique, psychologique, financière – causée par l’attitude de l’entreprise Vale qui, voulant faire taire les autorités et la population, a mis en jeu d’énormes sommes d’argent, comme l’indemnité distribuée aux habitants de la ville et ses environs – et la mort causée par la presse et la communication. Cette dernière est due à la manière dont a été traité médiatiquement ce crime humanitaire : l’exposition des familles et le non-respect des droits de personnes en situation de vulnérabilité.

 

La couverture de la catastrophe de Brumadinho et les erreurs de la presse

« J’ai donné plusieurs interviews aux principales chaînes de télé et radios du Brésil. Aujourd’hui, la seule chose que je veux c’est rester cachée parce que cela ne m’a pas apporté la paix que je cherchais. Au contraire, les gens venaient chez moi et me demandaient de l’argent pensant que, pour être apparue à la télé, j’en avais gagné. Principalement parce que les journaux notifiaient que les familles avaient reçu des indemnités dues à la rupture », m’a raconté Michelle. Cependant, les entreprises de presse ont oublié de dire que, pour recevoir ces indemnités, il fallait signer des accords et que toutes les familles n’ont pas accepté. Pour la population, paraissait-il que les familles étaient en train de gagner de l’argent pour avoir perdu des proches: dégueulasse ! Cette affirmation d’un parent d’une victime qui n’a pas voulu s’identifier, révèle un fait grave que la presse nationale brésilienne et internationale ne pouvaient pas oublier de mentionner.

La rivière boueuse du barrage a détruit l’environnement et les plantations aux alentours de la mine. (Photo : Corps des Pompiers de l’État de Minas Gerais)

Depuis le fatidique 25 janvier 2019, nous avons tous assisté à un fait ironique. Au cours des années qui sont suivies la rupture jusqu’au 25 janvier 2021, jour où la population de Brumadinho a commémoré le deuxième anniversaire de la tragédie, tout ce que nous avons pu lire de la presse, tout ce qui a été écrit et qui se raconte a un unique protagoniste, une version unique de l’histoire, un discours préconstruit, véhiculé par la « grande presse » comme étant l’unique vérité. L’exception a été faite le 25 janvier 2020, lors du premier anniversaire de la tragédie. Toute la presse, prise par la commotion du moment, a été obligée de construire une narration à partir de l’expérience des familles sinistrées. Devant ce fait, je me demande: pourquoi ne l’avons-nous pas fait durant l’année ? Et après le second anniversaire, assisterons-nous à un nouvel épisode de déjà vu ?

Durant toute l’année 2019, mais aussi 2020, divers journaux de l’État de Minas Gerais et brésiliens ont publié de longs articles publicitaires, sous forme journalistique, faisant la promotion des faits et réalisations de la Société Vale. Pendant ce même moment, de petits journaux, par manque de ressources financières et affaiblis par les idéologies dominantes, affrontaient de graves difficultés pour pouvoir publier et faire connaître les réclamations et exigences des familles des victimes affectées par la rupture.

 

Une lutte inégale entre la Vale et les familles affectées par la rupture du barrage de Brumadinho

La bataille perdue, dont toutes les familles se plaignent, est la même guerre médiatique que cinq ans auparavant, à Mariana, dans le même État de Minas Gerais et contre la même entreprise : Vale. Cette guerre ne laisse aucun doute sur la complexité de la lutte pour « le Droit à la Communication » dans le monde où nous vivons et qui nécessite beaucoup d’organisation, de concentration et, surtout, des efforts conjoints et une conscientisation des professionnels de la communication. Une chose est claire : nous devons modifier nos stratégies pour renverser ce jeu, surtout quand il s’agit de lutter pour les droits humains.

Retrait du corps d’une victime par l’hélicoptère des pompiers militaires (photo : Corps des Pompiers de l’État de Minas Gerais)

La rupture de Brumadinho, qui est survenue quatre ans après Mariana, nous montre que nous sommes loin de suivre les directives de l’Unesco à ce propos. Nous vivons un conflit de narration sur les causes et les effets des tragédies causées par le modèle journalistique adopté dans l’État de Minas Gerais et au Brésil. Cette construction est présente dans la majorité des pays où, peut communiquer celui qui possède des moyens financiers lui permettant d’acquérir le temps nécessaire pour faire passer ses idées au détriment des plus faibles. Brumadinho devrait servir de point de départ pour analyser les erreurs commises, tout comme Mariana, et faire comprendre que le jeu du « Droit à la Communication » devrait suivre de nouvelles règles et des attitudes morales différentes de la part des acteurs impliqués.

Comme c’est souvent le cas avec le modèle traditionnel de la communication et du journalisme, l’identité collective est supprimée pour laisser place à une construction d’histoires individuelles. L’accent est mis sur le drame personnel et déplace la dimension humanitaire, sociale et environnementale du fait journalistique, négligeant un débat sur le modèle des développements et des modes de vie en conflit. C’est à ce stade que le concept de tragédie prend une dimension encore plus dramatique, car elle touche un aspect sensible de la vie : la dignité humaine.

Pompiers à la recherche de segments de corps de victimes au milieu de la boue de minerai. (photo : Corps des Pompiers de l’État de Minas Gerais)

Devant tous ces constats, nous pouvons dire que tout est perdu, il n’y a plus d’espoir tant que les puissances économiques de nos pays continueront à dominer les moyens de communication. Mais il n’est pas question de baisser les bras, car il est possible de renouveler cet espoir grâce au journalisme humanitaire, qui pratique l’unique défense de ceux qui se trouvent en situation de vulnérabilité. La communication doit garantir que toutes les voix soient entendues. Le « Droit à la Communication» se doit d’être une garantie équitable pour tous, où chaque partie reçoit en fonction de sa nécessité et non de ses moyens. Dans la communication humanitaire, nous respectons la voix de toutes les parties; pourtant, il est clair que devant une tragédie, durant laquelle les droits humains sont brisés, la seule et unique voix qui existe est celle qui crie et qui a besoin de secours.

25 janvier 2021, nous nous rappelions la rupture du barrage de la Vale à Brumadinho. Nous souhaitions que les médias, nationaux et internationaux, et nous, professionnels de la communication, présentent au monde la réalité et la vérité des faits: la souffrance et la douleur que ces familles endurent jusqu’aujourd’hui. Qu’au moins une fois, ces personnes aient le moyen d’exprimer leurs sentiments et puissent dire au monde ce qu’elles vivent.

 

1 Louis Edoa est philosophe, théologien, écrivain, journaliste et étudiant en Master en Communication à l’Université Méthodiste de Sao Paulo sous la supervision du Prof. Cilene Victor.

2 La Vale est le plus grand producteur mondial de minerai et boulettes (granulées) de fer, matières premières essentielles pour la fabrication de l’acier et la deuxième en production de nickel. Elle retire ces minéraux dans la nature sous forme de roches mélangées à d’autres éléments et, à travers plusieurs processus industriels, met à profit le minerai qui sera vendu aux industries sidérurgiques. Entreprise brésilienne au capital privé, la Vale est aujourd’hui leader dans le segment de l’industrie minière, en dehors d’être une des entreprises les plus admirées, les plus fiables pour investir et les meilleures pour travailler.

3 La rupture du barrage de la Vale à Brumadinho, État de Minas Gerais, survenue le vendredi 25 janvier 2019, est la pire catastrophe survenue sur un barrage durant la dernière décennie dans le monde. Cette classification est contenue dans la déclaration de l’Organisation internationale du travail (OIT), publiée le 28 janvier de la même année, comme alerte pour souligner la nécessité d’un renforcement global des mesures de sécurité en matière d’exploitation minière. La tragédie a fait 272 morts dont la majorité était des employés de l’entreprise.

4 Si la rupture de Brumadinho peut être considérée comme la pire catastrophe de la dernière décennie en termes de nombre de morts, celle du barrage de Samarco, une joint-venture entre la Vale SA et l’anglo-australienne BHP Billiton, dans la région de Mariana, État de Minas Gerais, en 2015, est la catastrophe environnementale la plus grave de l’histoire causée par un déversement de minerai. La mer boueuse a détruit la vie marine du Rio Doce, affectant considérablement la vie de la population locale.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
hermes (15 février 2021). Le « droit à la communication » au Brésil. Revue Hermès - Cognition - Communication - Politique. Consulté le 18 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/pih5


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2 réponses

  1. Très intéressant comme article Louis Edoa!
    Il y a de mon point de vue une grande question éthique qui se dégage de cette analyse. Et le dialogue franc avec les victimes ou leurs représentants permettra d’envisager une issue juste.
    Cette tragédie et l’inaction médiatique efficace décrite au Brésil est semblable à la tragique expérience qu’ont vécu il y a quelques années les camerounais avec l’affaire Bollore (tragédie d’Eseka)…
    Les médias auraient-ils “vendu” leur pouvoir aux “puissants”?

    • Louis Edoa dit :

      Mon grand ami Daniel Sok-Mbang, bon souvenir e bonne comparaison. Tu viens de me donner une grande idée de production. NOus pouvons étudier cette question dans un autre article et soumettre pour une possible publication.
      Les médias mondiaux doivent se questionner: Qu’est-ce que nous voulons informer? Comment permettre que les plus défavorisé aient leur place sous le ciel?

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