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Retour de trois semaines aux États-Unis : un pays en apnée ?

Par Gilles Rouet.1

À Washington DC et à New York City, les protestations dans les rues (distributions de tracts, affichages, invitations à des réunions publiques) témoignent de la très forte polarisation politique actuelle du pays. Il en est de même pour les programmes de nombreuses chaînes d’information, CNN, ABC News, MSNBC, CBS, assez ou très critiques envers le gouvernement (à l’inverse de Fox News), et de la presse écrite à diffusion fédérale, par exemple USA Today, quotidien traditionnellement « modéré » qui est sorti de sa réserve lors du premier mandat de Trump.

Un terme revient souvent pour décrire l’ambiance générale : la sidération, un pays en apesanteur, en attente de sursaut. Les citoyens comme les élus seraient sidérés devant l’ampleur des mesures prises très rapidement par le président et son équipe sur plusieurs domaines à la fois : la suppression de l’USAid et de tous les programmes DEI (diversité, équité, inclusion), la réduction massive du nombre d’agents du gouvernement avec des licenciements décidés dès le deuxième jour du mandat présidentiel par un nouveau « département pour l’efficience gouvernementale » (DOGE) dirigé par Elon Musk, les négociations entre l’Ukraine et la Russie, la suppression des subventions à des universités jugées trop « woke » ou antisémites, dont Columbia et Harvard, ou encore l’augmentation, ou menace d’augmentation, des tarifs douaniers. Il fallait, bien sûr, s’attendre à de telles mesures sur ces différents domaines, présentées déjà, globalement, lors de la campagne électorale et en cohérence avec le programme politique défendu.

La sidération vient peut-être plus du rythme, de la méthode utilisée, de l’intensité et de la violence des mesures, des volte-face du Président, de la rapidité d’exécution de cet enchaînement inédit de mesures. L’actualité politique est un feuilleton permanent et les médias commentent en direct les annonces de mesures et de contre-mesures, depuis trois mois. Les annonces d’augmentation des tarifs douaniers ont provoqué un « mini-krach » boursier début avril et Trump n’a pas attendu longtemps et a suspendu pour trois mois l’application de certains tarifs réciproques.

Le Times anglais résume la situation en indiquant qu’un nouveau virus frappe la planète : le Donald-25 qui « dévaste l’économie mondiale » (18 avril), avec des conséquences que le quotidien met en perspective avec celles de la Covid-19 : déjà une baisse des visiteurs aux États-Unis de 17 % en mars par rapport à mars 2024, une diminution de 70 % des réservations de vols depuis le Canada, une contraction des échanges commerciaux, une baisse du dollar et un risque de contagion économique mondial.

Entre le 5 et le 15 avril, les chaînes d’infos américaines ont surtout très largement commenté quatre sujets : les tarifs douaniers, les licenciements d’agents publics, les restrictions de financement des universités et la politique migratoire, en particulier les mesures d’annulation de titres de séjours ou de visas et les expulsions de personnes en règles. Le recours aux décrets, déjà largement utilisé lors du premier mandat Trump, permet de contourner le congrès et l’opposition démocrate. Leur application, pour des expulsions ou des licenciements d’agents, provoque de très nombreuses décisions de justice, remises en cause de manière récurrente par l’administration Trump qui ne les applique pas, même quand un juge fédéral menace d’outrage au tribunal ! Se pose ainsi la question du respect de l’État de droit et, pour certains citoyens de la légitimité même du gouvernement.

Les attaques contre la presse se concrétisent par des suppressions d’autorisation pour les « briefings » de la Maison-Blanche, mais aussi par des poursuites judiciaires contre des médias critiques envers l’administration Trump qui organise clairement sa revanche sur une grande partie de la presse, qui, en majorité, soutient historiquement les démocrates, au nom de la liberté (totale) d’expression bien sûr. Pour le New York Times, cette démarche a pour objectif « de limiter l’accès du public à des informations indépendantes et dignes de confiance » (26 février). Pour autant, le soutien reste fort parmi les électeurs républicains, malgré les controverses. Pour autant, les casquettes rouges « MAGA » (Make America Great Again) ne sont vendues à New York ou à Washington qu’à des touristes, beaucoup de vendeurs ne les proposent pas et il est très rare dans ces deux villes de croiser des citoyens américains s’affichant avec une casquette ou un t-shirt MAGA.

Dans les grandes villes, des citoyens se mobilisent, organisent des rassemblements, qui semblent souvent assez spontanés, en petits groupes, pour dénoncer les mesures sur l’immigration, sur les libertés académiques, les suppressions des programmes de diversité, ou encore l’activité d’Elon Musk. La protestation est réelle, mais semble assez diffuse.

« Personne n’a voté pour Musk » est le titre d’une invitation, collée sur un poteau à Columbus Circle, à rejoindre un groupe local « Anti-Tesla, Anti-Trump ». Certains protestataires appellent à un sursaut citoyen, d’autres à « l’émancipation de l’humanité ». Le mode général est l’opposition et la dénonciation : par petits groupes, des citoyens abordent les passants ou investissent les parcs, expliquent, commentent les mesures prises et leurs conséquences.

Le 9 avril, la Statue de la Liberté était en couverture d’USA Today, avec comme légende, « Ils constatent une érosion de la promesse de Lady Liberty », au-dessus d’une photo de Raphaël Glucksmann qui « critique les politiques intérieures et étrangères du président Donald Trump ». Après Claude Malhuret qui avait comparé Washington à la cour de Néron le 4 mars 2025, Raphaël Glucksmann obtient les honneurs de la presse américaine qui commente sa demande, « blague, sarcastique, moqueuse, non sans ironie », de rendre à la France la Statue de la Liberté, « symbole d’accueil, de liberté et de démocratie », car les « États-Unis ne sont plus à la hauteur des valeurs que le cadeau représente ». L’article reprend les politiques dénoncées par le député européen : les licenciements massifs (100 000 agents d’après le journal), la baisse des budgets pour la recherche, les hausses des tarifs douaniers et la réunion controversée avec le président ukrainien. De l’étranger, pour Raphaël Glucksmann, « il y a un fort sentiment de trahison ».

L’article précise que « les changements [liés aux politiques mises en œuvre depuis trois mois] ont amené certains voyageurs étrangers à se demander si l’Amérique n’avait pas perdu de son éclat ». Alors peut-être, à terme, une Amérique Great Again, mais seulement de l’intérieur ?

Les rythmes politiques aux États-Unis sont assez peu comparables aux rythmes européens : aux élections de mi-mandat, en 2026, les 435 sièges de la Chambre des représentants et un tiers des 100 sièges du Sénat seront renouvelés, en même temps qu’environ les deux tiers des Gouverneurs des États. De nombreux citoyens américains sont dans l’attente, en particulier d’un lancement de campagne, et expriment même leur sentiment de culpabilité par rapport aux conséquences des politiques actuelles. Si les propos de Claude Malhuret ou de Raphaël Glucksmann sont abondamment repris, c’est peut-être plus en rapport avec cette attente que pour l’intérêt des idées qu’ils développent.

Le contexte actuel est propice à l’installation sinon d’une peur, pour soi, pour sa situation ou celle de ces proches, au moins d’une méfiance, aussi liée aux effets des désinformations, alors que la polarisation politique perdure avec un clivage idéologique radical. Alors on retient son souffle et on espère sortir de l’apnée en évitant la noyade.

  1. Gilles Rouet est docteur en histoire contemporaine, habilité en sciences sociales, agrégé en économie-gestion, ainsi que professeur de sciences de gestion et du management et directeur de l’Institut supérieur de management (IAE) de Versailles St-Quentin-en-Yvelines, Université Paris-Saclay, depuis 2015. Il est également membre du Bureau de Hermès, la Revue. []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
hermes (23 avril 2025). Retour de trois semaines aux États-Unis : un pays en apnée ? Revue Hermès - Cognition - Communication - Politique. Consulté le 18 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13soy


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