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Retour critique sur la critique de la communication (épisode 8)

Décision et attention, quelle place pour la communication ?

Par Lionel Lavarec1.

Poursuivant sa réflexion sur les organisations, Herbert A. Simon précise son point de vue lié à la prise de décision à travers la cognition et plus précisément l’attention. Il mentionne d’ailleurs très tôt que l’objet de son ouvrage de référence, écrit avec James March, est celui d’une théorie de l’attention et pas d’une théorie du choix. La distinction peut sembler anecdotique mais elle est essentielle : c’est le décisionnaire qui sera abordé, et non l’objet de la décision.

L’intuition comme mécanisme de réflexion

Reprenant un cadre de pensée démarré dans un précédent livre par Simon – la rationalité limitée – March et Simon délaissent une contrainte érigée comme majeur par d’autres : la hiérarchie. Selon eux elle n’influence que peu la structuration et la vie de l’organisation. L’individu et ses interactions deviennent le nouveau périmètre d’étude. Avec la rationalité limitée, les chercheurs savent que les ressources et les capacités de réflexion des individus sont mesurées. D’où le caractère prépondérant de l’attention. Définissant la concentration et l’application, elle prend une dimension fragile dans le cadre évoqué : la capacité de « tension de l’esprit vers quelque chose » est fortement dépendante de la compréhension des objectifs, de la mobilisation de connaissances, de la recherche d’alternatives et de la prise en compte de leurs potentiels impacts.

Si la limitation est identifiée, les solutions rationnelles sont rapidement décrites par les auteurs comme insuffisantes. Même à travers des procédures et des logiques analytiques, la collecte extensive d’information, l’évaluation systématique des conséquences et la pondération ne garantissent ni cohérence ni discernement optimaux (March et Simon, 1993, p. 8). L’évocation d’une deuxième voie, même si de l’aveux des auteurs elle a été moins étudiée, met en avant une logique d’adéquation basée sur la reconnaissance de situations semblables. Particulièrement usitée par les experts, l’intuition apporte ainsi une réponse rapide et souvent juste, sans pour autant pouvoir n’être expliquée ni justifiée (Ibid., p. 11). On comprend dès lors l’importance de l’attention : sans elle, que vaut l’intuition ? Un coup de dé au hasard, sans compréhension ni reconnaissance à partir de l’expérience. On comprend moins l’absence du rôle de la communication pour sortir de l’intuition vue comme un processus isolé et individuel. L’intuition d’un expert ou d’un décisionnaire peut s’expliquer et se confronter aux logiques des autres. Cette éventualité n’existe pas ou du moins n’est jamais envisagée par les auteurs.

Le conflit comme mécanisme de régulation

Dès lors que le collectif est convoqué pour comprendre les organisations – Simon et March parlent de système de comportements sociaux interdépendant des participants de l’organisation (Ibid., p. 105) –, les ajustements de l’équilibre organisationnel peuvent impliquer le fait de résoudre un conflit, entendu par March et Simon comme une rupture dans les mécanismes de prise de décision (Ibid., p. 132). La résolution du conflit est évoquée à travers un processus analytique ou un processus de négociation. Ces deux voies – la première impliquant le partage d’objectif et la persuasion, la deuxième la concertation et la politique – semblent suggérer une place prépondérante à la communication. Pourtant il n’en est rien : le partage d’une source commune d’information, les techniques de traitement de l’information ou encore les canaux d’information informels sont les seuls cités (Ibid., p. 147). Le terme de communication est d’ailleurs utilisé comme synonyme de diffusion mais en rien comme une situation d’interaction entre plusieurs personnes.

La réflexion comme mécanisme procédural

Une organisation ne peut subsister uniquement par le traitement d’éléments déjà connus. Elle doit faire preuve de nouveauté dans ses programmes d’action, notamment parce que son environnent est changeant et qu’elle doit elle-même s’adapter. Ces nouveaux programmes sont rattachés par les auteurs aux processus intellectifs du type résolution de problème (problem-solving), pensée productive (productive thinking), pensée créative (creative thinking) et invention (invention). Si le processus se borne à utiliser des solutions déjà mémorisées, il est qualifié de résolution reproductive ; s’il s’agit de nouvelles solutions, on parle alors de résolution productive (Ibid., p. 198). Pourtant dans les deux cas, le processus envisagé reste identique : la recherche d’informations – dans un cas, déjà stockées, dans l’autre, à identifier – puis la sélection des éléments considérés comme des solutions au problème. Ces deux étapes appellent à un traitement procédural mais introduisent une distinction liée à la problématique de l’attention : les limites cognitives imposent un processus de décision par palier et jamais un traitement du problème en entier (Ibid., p. 211). Deux conditions paradoxales émergent : (1) la concentration d’information dans une même représentation (Ibid., p. 184) ou (2) l’exposition élargie auprès des membres de l’organisation (Ibid., p. 210). Premièrement, le fait de communiquer une grande quantité d’information avec peu de symboles augmenterait l’efficacité de compréhension, donc de résolution. C’est une notion qui dévalorise malheureusement la communication (comme abordé dans l’article Shannon et la communication-transmission). Deuxièmement, la diffusion à partir de la structure de communication affecterait positivement le taux et le type d’innovation. La communication envisagée comme canal de transmission d’information n’est jamais appréhendée avec sa vraie qualité : comment le fait d’exposer des individus peut susciter des réactions et modifier la résolution concertée du problème ?

Présente tout au long de l’ouvrage comme centrale, la communication n’est que partiellement envisagée. Quelque fois structure de diffusion, support de l’efficacité du message ou composante de procédures, elle n’est jamais considérée comme l’élément réellement primordial des organisations. Comment combler l’attention réduite d’un individu, comment appréhender des conflits, comment résoudre des situations complexes sans les autres et sans communiquer ? Apporter une réponse décisionnelle satisfaisante et jamais optimale ne peut se faire sans communication ou alors c’est aborder l’organisation comme une machine décisionnelle hiérarchique, ce que n’envisageaient pas les auteurs.

 

Référence bibliographique

March, J. et Simon, H. A., avec la collaboration de Guetzkow, H., Organizations, Cambridge, Blackwell Publishers, 1993, 2e ed. [1958], 287 p.

 

La série « Retour critique sur la critique de la communication »

L’histoire moderne de la communication regroupe un certain nombre d’incompréhensions pour qui se place dans l’optique d’une réflexion visant à pour mieux comprendre l’interaction humaine. La série Retour critique sur la critique de la communication vise à lever certains de ces biais qui ont durablement influencé la réalité même des échanges qui font la société et le vivre ensemble.

Épisode 1 | Shannon et la communication-transmission

Épisode 2 | Shannon et l’abandon de l’expression et du sens

Épisode 3 | Wiener : entre commande et communication

Épisode 4 | Wiener, la commande de la société

Épisode 5 | Palo Alto, entre redondance et types logiques

Épisode 6 | Palo Alto, quand le pragmatisme se systématise

Épisode 7 | L’organisation et l’impasse décisionnelle

  1. Lionel Lavarec travaille à la stratégie de communication de Dassault Systèmes et enseigne au sein du master Médias, communication et villes numériques à l’Institut français de presse [IFP] []

OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
hermes (28 avril 2025). Retour critique sur la critique de la communication (épisode 8). Revue Hermès - Cognition - Communication - Politique. Consulté le 18 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13tsd


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